Dans la vie d’un entrepreneur, rares sont les questions aussi récurrentes que celle du mode de rémunération : faut-il privilégier le salaire ou opter pour le dividende ? Chaque fin d’exercice financier ramène cette interrogation au centre de la planification financière et stratégique de l’entreprise, avec des implications à la fois fiscales, sociales et personnelles. Pourtant, derrière cette dualité se cache une réalité bien plus nuancée qu’il n’y paraît. Le choix entre salaire et dividende dépend dès lors d’une série de facteurs précis, souvent imbriqués, qui doivent être examinés à la lumière de votre situation unique. Pour y voir plus clair, cette rubrique va explorer ces paramètres en s’appuyant sur une grille d’analyse pratique qui synthétise les grands enjeux de cette décision.
Comprendre les concepts : salaire vs dividende
La distinction entre salaire et dividende n’est pas qu’une question de vocabulaire fiscal. Elle touche directement à la structure même de la rémunération d’un dirigeant d’entreprise incorporée, à ses charges sociales, à sa fiscalité personnelle et à sa stratégie financière globale. Ici, chaque option présente ses avantages et ses pièges bien camouflés.
Quelle terminologie peut-on donner du salaire ?
Au sens légal, le salaire est une rémunération versée en contrepartie d’un travail effectué. Il implique une relation d’emploi, même pour un actionnaire-dirigeant de sa propre société. Il est versé par l’entreprise, inscrit dans les livres comptables, et soumis aux déductions à la source telles que les cotisations à l’assurance emploi (AE), le Régime de rentes du Québec (RRQ) ou le Fonds des services de santé (FSS).
Au Québec, les dirigeants qui choisissent de se rémunérer sous forme de salaire doivent respecter les mêmes obligations que tout employeur : produire des feuillets T4/Relevé 1, verser les charges sociales et retenir les impôts sur la paie.
Qu’entend-on par « Dividende » ?
Le dividende représente une part des bénéfices qu’une société choisit de redistribuer à ses actionnaires. Il s’agit d’un revenu de placement, et non d’un revenu gagné au sens fiscal, ce qui signifie qu’il n’est pas lié à une relation d’emploi ni à une obligation contractuelle de paiement. Le versement d’un dividende est subordonné à la réalisation de profits nets après impôts et doit être autorisé par le conseil d’administration. Au Québec, on distingue deux types de dividendes : les dividendes admissibles, qui bénéficient d’un taux d’imposition réduit, généralement versés par les sociétés imposées au taux général ainsi que les dividendes non admissibles, émis par les PME assujetties à un taux d’imposition plus faible. Toutefois, cette forme de revenu n’ouvre aucun droit à la Régie des rentes du Québec (RRQ) ni à d’autres mécanismes de protection sociale.
Quels critères influencent réellement le choix entre salaire et dividende ?
Le choix entre percevoir un salaire ou des dividendes ne relève pas d’une simple préférence personnelle, mais d’un ensemble de facteurs fiscaux, juridiques et stratégiques propres à chaque situation d’entreprise. La structure de l’actionnariat, le niveau de revenu visé, les obligations en matière de cotisations sociales et les objectifs de planification financière jouent tous un rôle déterminant dans cette décision.
Situation familiale et personnelle
La présence d’enfants à charge ou la perspective d’un congé parental change radicalement la donne. Par exemple, une personne qui prévoit bénéficier du RQAP au Québec devra privilégier le salaire, car ce programme repose sur les revenus assujettis aux cotisations sociales. Il en va de même pour les frais de garde d’enfants, car les crédits d’impôt correspondants se calculent à partir du salaire.
L’âge et la situation familiale entrent également en ligne de compte. Une personne dans la trentaine qui souhaite bâtir un historique de revenus admissibles à la retraite publique (RRQ) a intérêt à choisir un salaire régulier, surtout si son profil d’investisseur est prudent.
En revanche, une personne plus âgée ou dont les enfants sont autonomes peut considérer le dividende si elle dispose déjà d’une couverture sociale suffisante.
Droits de retraite et cotisations au RRQ : seul le salaire est contributif
Le système de retraite québécois repose sur un modèle contributif. Les revenus provenant d’un emploi salarié donnent lieu à des cotisations au Régime de rentes du Québec (RRQ), ce qui permet de cumuler des droits à la retraite. Un entrepreneur souhaitant prendre une retraite rapide (vers 60 ans), ou qui anticipe un décès hâtif dans sa famille, aura avantage à cotiser davantage pour bénéficier du maximum du RRQ.
À l’inverse, une personne dont le profil de longévité est élevé ou qui prévoit une retraite tardive (après 65 ans) pourra compenser l’absence de cotisation en misant sur d’autres formes d’épargne. Le dividende devient alors une option viable, en particulier si les revenus sont investis dans un REER ou un CELI.
Par ailleurs, les périodes de cotisation inégales ou incomplètes appellent souvent à renforcer les revenus assujettis. C’est dans ce contexte que le salaire se montre plus intéressant, car il évite les « trous » dans l’historique contributif.
Structure de l’actionnariat : avantage au dividende
La composition de l’actionnariat influence la flexibilité des distributions. Dans une société où plusieurs actionnaires présentent des besoins divergents, le dividende offre un moyen d’ajuster la rémunération selon les circonstances de chacun, à condition de respecter les règles de distribution proportionnelle. Il en va de même pour les sociétés comptant des actionnaires passifs et qui n’ont pas de lien contractuel de travail. Dans ce contexte, seule la distribution de dividendes est alors possible.
En revanche, pour une entreprise individuelle ou une PME dirigée par un seul fondateur, le salaire peut être géré avec plus de latitude, notamment pour maximiser certains avantages sociaux.
Couverture sociale et invalidité : une protection réservée aux salariés
Le versement d’un salaire ouvre l’accès aux dispositifs de protection sociale publique, tels que l’assurance maladie, l’assurance emploi, le RRQ ou encore les prestations parentales. Il ouvre également la voie à des programmes d’assurance invalidité lorsqu’ils sont souscrits personnellement ou via un employeur. Cela représente un levier de sécurité financière pour l’entrepreneur, notamment en cas de maladie ou d’incapacité prolongée.
Par contre, le dividende ne donne droit à aucun filet social. Il appartient donc à l’actionnaire qui privilégie cette voie de souscrire des assurances privées s’il souhaite se prémunir contre les aléas de la vie.
Enjeux fiscaux et gestion des flux : un bénéfice exclusif du dividende
L’IMRTD (impôt en main remboursable au titre de dividendes) est un mécanisme fiscal propre au Canada, permettant à une société privée de récupérer une portion des impôts payés sur ses revenus de placement, lorsqu’elle verse des dividendes imposables à ses actionnaires, ce qui représente un levier d’optimisation fiscal.
Par ailleurs, les entrepreneurs peuvent bénéficier d’une simplicité administrative. Le dividende, du fait de l’absence de cotisations, de feuillets T4, et de calculs complexes, est souvent perçu comme un instrument plus direct.
Enfin, dans une optique de protection d’actifs, le dividende présente un avantage en matière d’insaisissabilité. Contrairement au salaire, il ne peut pas être saisi de la même manière par les créanciers dans certaines situations.
Peut-on percevoir à la fois un salaire et des dividendes ?
Entre ces deux modes de rémunération, il n’existe pas de réponse toute faite. Le bon choix découle toujours d’une analyse nuancée des réalités personnelles, fiscales et organisationnelles. Néanmoins, il est tout à fait possible pour un dirigeant d’entreprise de cumuler un salaire et des dividendes, à condition que cette combinaison respecte les règles fiscales en vigueur.
Comment combiner intelligemment salaire et dividende ?
Un mix salaire/dividende est non seulement possible, mais souvent recommandé chez les entrepreneurs. Le régime fiscal québécois permet notamment à un dirigeant incorporé de se verser à la fois un revenu d’emploi et des dividendes issus des bénéfices après impôts de sa société, mais encore faut-il comprendre les implications derrière cette combinaison.
Autrement dit, le salaire est déductible pour la société, ce qui diminue l’impôt à payer. Il permet aussi de cotiser au RRQ, de bénéficier d’un REER plus généreux et d’assurer un revenu constant, particulièrement utile pour accéder à du crédit personnel ou immobilier.
Le dividende, quant à lui, n’est pas considéré comme un revenu gagné. Il n’ouvre donc pas droit au RRQ ni au REER, mais il est souvent moins imposé à titre personnel, en particulier si les dividendes proviennent de revenus déjà taxés à un taux faible au sein de la société.
D’ailleurs, cette combinaison permet une optimisation fiscale. Par exemple, un entrepreneur pourrait se verser un salaire suffisant pour maximiser ses droits de cotisation au REER et compléter par des dividendes pour alléger sa charge fiscale globale. Opter pour ce type de stratégie financière nécessite toutefois une lecture fine du contexte fiscal de l’entreprise, des projets personnels du dirigeant et des objectifs à long terme.
Pourquoi se faire accompagner par un cabinet de services financiers ?
La complexité du système fiscal québécois et les évolutions constantes des lois rendent la prise de décision extrêmement délicate pour les entrepreneurs non spécialisés. Un cabinet de services financiers devient alors un allié incontournable pour sécuriser ses choix, maximiser les avantages fiscaux, et structurer la rémunération dans une logique de croissance durable.
Faire appel à un expert, ce n’est pas seulement s’assurer de la conformité aux lois fiscales. C’est avant tout s’entourer d’une vision globale. Cet interlocuteur analyse la situation personnelle de l’entrepreneur, les performances financières de l’entreprise, les objectifs de croissance, et bâtit une stratégie sur mesure. Il évalue par exemple comment optimiser la rémunération pour financer un projet immobilier, préparer un rachat d’entreprise, ou bâtir un plan de retraite solide.
L’expertise d’un tel cabinet repose sur des compétences transversales en fiscalité, en comptabilité, en planification successorale et en investissement. Grâce à une approche intégrée, un mix salaire/dividende cohérent avec la situation présente peut être conseillé, tout en anticipant les implications fiscales futures.
Besoin d’y voir plus clair dans votre propre situation ?
Mathieu Routhier possède une expertise reconnue en planification financière pour les entrepreneurs incorporés. Grâce à sa compréhension fine des enjeux fiscaux, juridiques et personnels liés à la rémunération, il vous aide à structurer un plan sur mesure qui soutient vos ambitions, protège vos acquis et optimise chaque dollar gagné. Que vous optiez pour le salaire, le dividende ou un judicieux mélange des deux, vous pouvez compter sur une approche stratégique, rigoureuse et adaptée à votre réalité.